Il dit alors : « À quoi est comparable
le Royaume de Dieu ? À quoi le comparerai-je ? Il est comparable
à une graine de moutarde qu’un homme prend et plante dans
son jardin. Elle pousse, elle devient un arbre et les oiseaux du ciel
font un nid dans ses branches. ».
De la moutarde, pour quoi faire ?
Luc 13,18-19
En quoi cette courte
histoire nous renseigne-t-elle sur ce fameux Royaume ? Que pouvait bien
vouloir dire Jésus en la racontant ? Certes, nous sommes placés
devant les merveilles de la croissance : le Royaume se développerait
aussi mystérieusement et aussi merveilleusement que la croissance
de la végétation. Tant il est vrai que, depuis la plus
haute antiquité, l’homme s’est façonné
une culture qui juge le bonheur inséparable de la croissance.
Et l’ensemble de la Bible en est imprégnée. Mais
que va-t-on faire de ce vieux texte, maintenant que la croissance devient
à bien des égards contestée, voire contestable,
et qu’elle ne s’identifie plus à la réussite
? Faut-il le mettre au panier ?
Le thème de l’arbre qui se dresse bien haut
et abrite les oiseaux du ciel est assez répandu dans la culture
juive, on le retrouve par exemple chez Ézéchiel (17,22-24
; 31,1-9) et aussi chez Daniel (4,7-15). Mais il s’agit, dans ces
derniers cas, d’un beau cèdre immense qui domine la terre
alentour. Dans le Premier Testament, comme dans la littérature
rabbinique, les oiseaux du ciel symbolisent les nations païennes,
les étrangers qui viennent se réfugier en grand nombre.
Aussi l’interprétation classique de cette parabole consiste-elle
à souligner que le Royaume de Dieu va s’étendre à
toutes les nations du monde qui trouveront refuge dans un christianisme
bienfaisant.
Nous devrions cependant lire la parabole plus rigoureusement.
Elle ne dit pas que l’arbre, va s’étendre à
l’infini. Elle dit que les oiseaux viennent s’y réfugier.
C’est tout le contraire, car il ne s’agit pas d’une expansion
mais d’une hospitalité. Il ne s’agit pas d’aller
chez les autres imposer sa culture, mais de les accueillir chez soi.
Avec cette toute petite graine qui devient rapidement un arbre. Luc,
qui ne connaît pas la Palestine, ne sait pas que cette plante,
courante sur les rives du Lac de Tibériade, ne devient pas un
arbre, mais au mieux un arbuste d’environ 2 m de hauteur. Marc
et Matthieu, plus avisés, disent seulement qu’elle devient
la plus grande des plantes potagères. Juste assez haute pour
faire de l’ombre aux autres plantes. Nous ne sommes donc pas dans
la hauteur provocante du cèdre, mais dans la modestie d’une
graine de moutarde qui se développe juste assez pour pouvoir
accueillir les oiseaux du ciel, les étrangers, qui viennent s’y
loger.
L’aventure biblique se déploie donc depuis
le premier jardin d’Éden, qualifié de Paradis, jusqu’à
cet autre jardin qui est comparable au Royaume de Dieu. En Éden,
il était surtout question de savoir ce qui était bon à
manger et séduisant à regarder. Dans ce nouveau jardin,
on ne pense plus aux douceurs de la vie, on ne se demande plus si tel
arbre est agréable à voir, on ne se demande plus si Dieu
à autorisé ou défendu ceci ou cela, car il faut
vite organiser une terre d’accueil pour ceux-là qui cherchent
où passer la nuit. Autour de ce nouvel arbre, de hauteur très
modeste, on se préoccupe surtout de faire de l’ombre pour
ceux qui étouffent sous le soleil. Il ne s’agit plus de
rêver aux grands cèdres dominant Israël, imposants
par leur taille et leur beauté, et capables d’abriter tous
les oiseaux du ciel. Non. Un petit arbre, sans prétention, à
la mesure de nos moyens, qui ne paye pas de mine, qui n’a pas de
beauté, ni de forme, qui ne fait pas concurrence à la
majesté du cèdre. Il se voit à peine, mais il pousse
très rapidement et peut abriter une partie de ceux qui errent
sur la terre.
À quoi comparer le Royaume de Dieu ? À
un jardin accueillant qui a été préparé
pour que les oiseaux du ciel puissent venir habiter. Il risque d’être
assez bruyant. Il se confirme bien que le Royaume de Dieu n’est
pas le Paradis. On n’y est pas si tranquille. Et rien ne nous indique
qu’il faille l’attendre jusqu’à la fin des temps.
Parce que la moutarde pousse vite. Le Royaume est déjà
là, venu avec les oiseaux qui ont envahi notre jardin. 
Henri
Persoz